Dans les Cévennes, la transhumance est une pratique millénaire toujours vivante.
Le territoire est l'un des derniers endroits où éleveurs et bergers guident leurs troupeaux vers les hautes terres herbacées à pied.
Direction l'estive de Finiels, sur le mont Lozère, pour un bilan de la saison avec Salomé et Camille, deux bergers, et Zoé et Louis, deux saisonniers du Parc.
Comme tous les matins depuis le mois de juin, Zoé et Louis se retrouvent au Pont de Montvert pour débuter la journée. Leur mission : sensibiliser les visiteurs à la réglementation du Parc et aux bons gestes à adopter notamment en présence de troupeaux.
Aujourd'hui ils doivent se rendre au sommet de Finiels, le point culminant du mont Lozère où se trouve l'un des plus grands troupeaux transhumants du Parc.
Nous avons rendez-vous avec Salomé et Camille, les deux bergers qui ont passé l'été sur cette estive où les interactions avec les randonneurs sont fréquentes. Situé sur l'itinérance du chemin de Stevenson, le sommet de Finiels est également un lieu prisé pour les excursions d'une journée.
En chemin, les échanges avec les randonneurs sont déjà très riches. Zoé et Louis partagent des conseils sur les meilleurs itinéraires, présentent le Parc national des Cévennes, ses patrimoines naturels et culturels, sa réglementation et les bons gestes à adopter en présence d'un troupeau ou de patous.
Les jours de forte afluence, ils ont pu échanger avec plus de 120 personnes !
Lorsque nous arrivons au point de rendez-vous, nous apercevons le troupeau au loin. Il a pris du retard sur l'itinéraire prévu.
Et vous saurez-vous donner une estimation ? (la réponse dans l'article !)
© A.M. - Parc national des Cévennes.
"C'est parfois difficile à interpréter, certains jours les brebis vont très vite et il est presque difficile de les suivre et d'autres, comme aujourd'hui, elles prennent tout leur temps. Même si notre rôle consiste aussi à maîtriser ces rythmes, nous sommes attentifs et respectons leur humeur du jour." nous confie Camille lorsque nous les rejoignons.
Les interactions avec les randonneurs, un défi tout au long de la saison
Parmi les défis de l'été, Salomé et Camille citent spontanément le partage de l'espace avec les randonneurs qui passent au somment de Finiels.
Et notamment trois problèmes en particulier : les personnes qui ne se détournent pas du chemin et coupent le troupeau, les chiens non tenus en laisse et les selfies juste devant les brebis.
« Ce que certaines personnes ne comprennent pas, c’est que des comportements anodins peuvent avoir des conséquences importantes. Par exemple, un père et son fils ont coupé le troupeau et nous avons perdu près d'1h car les brebis s'étaient dispersées. Ces moments d'interruption perturbent les brebis et l'itinéraire du jour » confie Camille.
"C'est en cela que l'appui du Parc est agréable. Quand l'affluence est forte c'est ingérable. Lorsque les saisonniers sont là, nous pouvons nous concentrer sur notre métier." ajoute-t-il.
C'est là que la sensibilisation est cruciale et pas toujours facile. Certaines personnes remettent en question l’importance des consignes. Zoé raconte :
« Un jour, une randonneuse a refusé d’attacher son chien. Elle m'a dit “s’il tue un oiseau, c’est la nature”. Pourtant, en plus de l'impact important que cela peut avoir sur les troupeaux, un chien peut mettre en péril certaines espèces rares et locales comme les busards qui nichent au sol. En plus de ces enjeux, c'est aussi la vie du chien qui est en jeu car s'il croise un patou, il ne fera pas long feu... »
Autre défi auquel sont confrontés de nombreux éleveurs du territoire : la présence du loup. "Nous sommes chanceux car nous n'avons pas eu d'attaques. Mais nous savons que le loup est là et c'est une attention de chaque instant" confie Salomé.
C'est pas un peu superflu ce que vous faîtes ?
Lorsqu'on lui demande si elle a des anecdotes amusantes sur la saison, Salomé raconte ce jour où deux jeunes femmes se sont arrêtées pour lui parler et lui demander : " Ca a l'air sympa votre métier mais c'est pas un peu superflu ? Pourquoi vous venez jusqu'ici et leur donnez pas tout simplement du foin ? "
'Je n'avais pas le chiffre précis ce jour là mais je me suis ensuite renseignée et, en estive, chaque brebis consomme en moyenne l'équivalent de 2kg de foin sec par jour. Avec nos 2500 brebis pendant 2 mois de transhumance, le calcul est vite fait ! Plus de 5 tonnes de foin par jour, 350 tonnes sur la saison..." ajoute Salomé.
Le métier de berger, pas toujours fidèle à la "carte postale"
Les bergers, comme Camille et Salomé, ont un rôle primordial dans la gestion des 2 500 brebis présentes sur l’estive de Finiels. Leur quotidien est loin des clichés romantiques. Camille partage :
« Les gens sont nombreux à fantasmer notre métier et à nous voir comme des "bergers poètes". Mais s’ils nous voyaient aux aurores soigner des brebis infectées de bactéries sous les onglons... Tu peux parfois avoir 2 verres entier de pu à retirer ! Les abcès dans les mamelles, les asticots dans l'oeil... On est loin de l'image poétique... »
Salomé : « Ce que je préfère, c’est la lumière du soir et les orages lorsqu’on peut s’abriter dans une cabane. »
Salomé est originaire de Loire Atlantique. C'est sa troisième année sur cette estive de Finiels. Elle évoque des journées longues et intenses, oscillant entre des moments de calme, comme à partir de 18h, lorsque les brebis sont plus détendues, et des moments où elles courent et sont difficiles à gérer.
Camille : "A partir de 18h, la lumière devient magnifique les brebis connaissent le chemin du retour et on peut commencer à se détendre et à prendre le temps de contempler les paysages. "
Camille est originaire du plateau de Millevaches. Ornithologue, il collabore régulièrement avec le Parc naturel régional notamment sur des suivis de migration. C'est sa première année d'estive et cette expérience a renforcé son envie de faire la transhumance l'année prochaine chez lui.
Zoé : "un souvenir de l'été ? les faucons crécerelle en vol statique ! Je n'arrive pas à m'en lasser... "
Zoé, est originaire de Vialas, et connait très bien la région. Notamment car elle partait souvent en balade avec son grand-père, ancien garde du Parc, qui l'a beaucoup sensibilisée à la faune et la flore locale.
Etudiante en histoire à Rennes elle se destine à une carrière dans les relations internationales. « Ce travail de saisonnière m’a permis d’apprendre tellement plus sur la biodiversité locale et le métier de berger que ce que j’avais imaginé ! »
Louis : "je suis tombé amoureux du point de vue au-dessus du rocher de l'aigle sur le Pic Cassini. Lorsque les martinets à ventre blanc venaient nous raser, c'était magique !"
Originaire de St Etienne, Louis vient d'être diplômé d'un BTS en gestion et protection de la nature. Ornithologue amateur, il avait fait son alternance à Cubières, en Lozère, et souhaitait revenir dans la région.
"Pour un 1er boulot dans l'environnement cette saison avec le Parc, c'était le top ! Quel bureau ! Et au delà des paysages et des merveilleuses observations que l'on a pu faire, les rencontres avec les bergers ont été des moments super enrichissants !"
La journée prend fin. Aujourd'hui, près de 80 randonneurs auront été sensibilisés.
Après un dernier échange sur le déroulé de la journée, c'est l'heure des au revoir. Louis et Zoé terminent leur saison avec le Parc le lendemain. Salomé et Camille finissent leur transhumance la semaine d'après.
Pour aller plus loin :
- L'agropastoralisme dans le Parc national des Cévennes
- Causses et Cévennes, patrimoine mondial de l’Unesco
- Site officiel de l'Entente Interdépartementale Causses & Cévennes
- Promouvoir une agriculture vertueuse dans le Parc national des Cévennes
- Nos 10 conseils pour réussir sa randonnée dans le Parc national des Cévennes
- Vidéo : les bons comportements à adopter avec les chiens de protection des troupeaux
- Elsa et Pascal, un été sur l'Aigoual
- Une saison avec Raphaël, transhumant sur l'Aigoual