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Quel avenir pour les forêts du territoire ?

Entre 1970 et 2010, la couverture forestière du cœur de Parc est passée de 48 % à 62 %. Elle était de 16 % dans la deuxième moitié du XIXème siècle.

Cette tendance va-t-elle se poursuivre ou sera-t-elle impactée par les évolutions climatiques à l’œuvre ? Nous avons interrogé Baptiste Algoët, chef du pôle Forêt-Chasse, pour faire un bilan de la situation.

 

Corniche
Corniche des Cévennes © Olivier Prohin - Parc national des Cévennes


Comment se portent les forêts sur le territoire du Parc ?

Pas si mal, pour l’instant. Certes, il y a localement des signaux d’alertes (tâches d’épicéas dépérissants, pins noirs qui rougissent, couleurs de l’automne qui apparaissent au mois d’août, etc.), et on sait que les fortes températures et les sécheresses répétées affaiblissent les arbres. Mais on est loin des dépérissements massifs observés sur des centaines d’hectares, ailleurs en France. Aujourd’hui, 70% du Parc (cœur + aire d’adhésion ndlr) est recouvert par une grande diversité de forêts, dont la majorité sont encore en bonne santé.

Avec le changement climatique, on reste inquiet, certes, mais le fait qu’on soit en moyenne montagne est une chance : il est probable que ce soient les limites basses des étages de végétation qui « souffrent » en premier, ce qui nous permet d’avoir un peu de temps pour anticiper.

 

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Hêtraie du Mas de la Barque en automne © Olivier Prohin - Parc national des Cévennes

 

On parle pourtant beaucoup du châtaignier et des menaces qui pèsent sur cette espèce en particulier…

Effectivement, le châtaignier est un cas particulier. On observe des dépérissements importants qui s’expliquent surtout par des problèmes sanitaires – principalement des maladies comme celle du chancre ou liés à des parasites comme le Cynips.

Mais surtout, de nombreuses châtaigneraies sont des anciens vergers principalement implantés dans des zones où l’espèce n’est naturellement pas adaptée aux conditions stationnelles (altitude, exposition, qualité du sol, etc.). Elles se portaient bien tant qu’elles étaient entretenues par les humains. Aujourd’hui, nombre d’entre elles sont laissées à l’abandon et cela participe à leur déclin.

Cela dit, le dérèglement climatique va bien sûr aggraver cette situation.

 

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Torymus sinensis, parasite du Cynips du chataignier © Jean Pierre Malafosse - Parc national des Cévennes

 

Justement, avec l’accélération de ce dérèglement, à quoi devons-nous nous attendre sur l’ensemble des forêts du territoire ?

C’est difficile à prévoir car il y a beaucoup d’incertitude et de facteurs qui nous échappent. Comme nous l’évoquions dans le cahier d’adaptation du Parc national des Cévennes au changement climatique et à ses impacts, ce qui est sûr, c’est que nous allons assister à des sécheresses et des canicules plus fréquentes et plus sévères. Cela va augmenter le risque d’incendie, la fragilité des arbres et leur sensibilité aux ravageurs, menaçant la pérennité des forêts. Les gels tardifs (car les arbres débourrent de plus en plus tôt) ou les neiges lourdes de printemps peuvent aussi avoir des conséquences problématiques.

Bien sûr, nous avons de grandes craintes que la forêt ne parvienne pas à s’adapter à cause de l’ampleur et de la vitesse du phénomène car les arbres vivent très longtemps et ne peuvent pas se déplacer autrement que par la dispersion de leurs graines. Mais ce n’est pas une certitude !

On découvre encore régulièrement des capacités étonnantes des arbres, et on connaît très mal leur capacité d’adaptation, d’autant plus qu’on est face à un phénomène inédit. J’ai tendance à penser que les arbres et les forêts n’ont pas fini de nous surprendre !

 

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Les gorges du Tarn abritent des Pins de Salzmann vieux d'environ 500 ans © Jean Pierre Malafosse - Parc national des Cévennes

 

 

Alors que faire pour s’y préparer et limiter les impacts négatifs ?

Dans une aire protégée telle qu’un Parc national, on prône une approche différenciée. Dans beaucoup d’endroits, on plante de nouvelles essences potentiellement (ou prétendument) mieux adaptées au climat de demain. Pourquoi pas ? Cela fait partie de la panoplie de mesures envisageables. Mais dans un Parc national, et a fortiori dans le cœur du Parc national, il semble judicieux de miser sur ce qu’on appelle les « solutions fondées sur la nature ». Des forêts diversifiées, écologiquement riches et en bonne santé seront naturellement plus résistantes et résilientes face aux changements climatiques.

Certains diront sans doute que c’est une vision optimiste, voire idéaliste, mais c’est aussi faire preuve de prudence que d’observer d’abord ce dont la nature est capable avant de condamner les forêts actuelles et de les remplacer, parfois par anticipation, par des essences exotiques qui ne sont pas sans poser de problème.

Au-delà des risques d’introduction de pathogènes, d’espèces envahissantes et du fait que les essences allochtones ne sont souvent pas accompagnées de leur cortège d’espèces associées (qui vont décomposer leur litière et leur bois, notamment), comment être sûr que les espèces que nous pensons être adaptées aujourd’hui le seront demain ? La forêt est un écosystème complexe, et une approche centrée uniquement sur les essences, qui ne tient pas compte des innombrables interactions entre espèces (de faune comme de flore) présente de nombreuses limites.

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Le Sapin de Vancouver a été planté en plusieurs endroits du Parc avec un succès éphémère... Arrivé à certain âge, de nombreux dépérissements ont été constatés © Crusier  Wikimedia Commons


Dans ce contexte, les pratiques en matière de gestion des forêts doivent-elles évoluer ?

Les forêts ont un rôle très important dans l’atténuation et l’adaptation au changement climatique. Pour ne citer que quelques-uns des services qu’elles rendent, elles séquestrent du carbone, préservent la ressource en eau, procurent de l’ombre et maintiennent des micro-climats plus frais. Il faut donc aborder la question de leur gestion avec la plus grande prudence.

Ce qui est sûr, c’est que le changement climatique bouleverse la façon dont on avait l’habitude de gérer les forêts, jusque là. Tout est plus complexe, plus incertain.

Il est nécessaire d’évoluer vers une « gestion adaptative » : observer et suivre de près l’évolution des forêts et la façon dont elles réagissent à la gestion mise en œuvre, ne pas hésiter à reconnaitre nos erreurs et à faire preuve d’une certaine souplesse, pour pouvoir changer de mode de gestion, si besoin.

S’il y a de nombreuses choses qu’on ne sait pas encore, nous avons cependant quelques certitudes : si on gère nos forêts comme on le faisait « classiquement » il y a 50 ans, avec des coupes rases et des plantations monospécifiques, on va au-devant de gros problèmes… À l’inverse, on sait qu’une gestion qui va maintenir un couvert continu et favoriser la diversité des essences rendra naturellement les forêts moins vulnérables.

 

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Plantation de conifère sur le causse Méjean © Guy Grégoire - Parc national des Cévennes

 

 

Derrière des espèces emblématiques ou faciles à voir en forêt, comme les mammifères ou les oiseaux, se cache une vie riche et insoupçonnée. Comment toutes ces espèces participent-elles à la vie de l’écosystème ?

Vaste question, car toutes les espèces ont leur rôle à jouer, et elles se comptent par centaines ou milliers dans les forêts !

S’il fallait insister sur un point, ce serait sur les espèces qui décomposent le bois mort, notamment les coléoptères saproxyliques (qui réalisent tout ou partie de leur cycle de vie dans le bois en décomposition ndlr) et les champignons saprophytes (qui poussent sur le bois mort ndlr). Ce sont elles qui recyclent la matière organique et permettent un « retour à la terre » des éléments nutritifs dont dépendent les forêts de demain. D’où l’importance de garder du bois mort en forêt. D’autant plus qu’en fonction de l’essence, du diamètre de l’arbre, du degré de décomposition, du fait que l’arbre mort soit debout ou au sol, ou même du degré d’exposition à la lumière, ce ne sont pas les mêmes cortèges d’espèces que l’on va retrouver. Donc pour avoir un écosystème forestier qui « fonctionne bien », il faut une grande quantité et une grande diversité de bois mort.

Contrairement à certaines idées reçues, une forêt pleine de bois mort, ce n’est pas une forêt mourante, mais au contraire une forêt vivante !

C’est un sujet que nous abordons systématiquement quand nous travaillons avec les forestiers (privés comme publics).

 

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La Rosalie des Alpes compte parmi les plus beaux coléoptères de France et bénéficie d’une protection nationale © Caroline Devevey - Parc national des Cévennes

 


La production de bois est-elle compatible avec la protection de cette biodiversité ?

Bien sûr ! Sous réserve qu’elle soit réalisée de manière « raisonnée ». D’une manière générale et un peu simplifiée, notre politique forestière peut se décliner en 5 grands « principes » ou « recommandations » :

  • 1 - favoriser la diversité en essences
  • 2 - privilégier la régénération naturelle aux plantations
  • 3 - préférer les essences autochtones (présentes naturellement sur le territoire, non introduites)
  • 4 - privilégier la sylviculture à couvert continu, c’est-à-dire sans coupes rases, avec des prélèvements « légers » et réguliers, conduisant à des forêts constituées d’arbres de tout âge (à l’inverse du taillis ou de la sylviculture dite régulière, qui créent des forêts dans lesquelles tous les arbres ont à peu près le même âge et les mêmes dimensions).
  • 5 - développer une trame de vieux bois en laissant en libre évolution (sans exploitation) des forêts entières ou des peuplements, et en conservant de façon permanente un maximum d’arbres d’intérêt écologique au sein des peuplements exploités.

Il est aussi important de garder à l’esprit que, dans une forêt, une riche biodiversité est également utile et bénéfique pour la production de bois.

Le recyclage de la matière organique améliore la fertilité des sols. Parmi les espèces présentes, certaines vont réguler les ravageurs. Un peuplement mélangé est aussi plus résistant et plus résilient aux évènements extrêmes.
Une forêt riche en biodiversité, c’est donc une forêt en bonne santé.

Préserver la biodiversité, ce n’est pas juste pour le plaisir de voir des « petites bêtes » ou pour faire plaisir aux « écolos », mais c’est aussi favorable à la production de bois !

 

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Marquage d'arbre à loge sur l'Aigoual © Gaël Karczewski - Parc national des Cévennes

 


Des actions sont-elles possibles à l’échelle de l’individu ?

Ce n’est pas simple, car il faut rappeler qu’en France métropolitaine, 75 % des forêts sont privées. Ce sont donc les propriétaires forestiers qui décident ce qu’ils y font - sous réserve du respect de la réglementation, bien sûr. Moins de 10 % des forêts françaises sont domaniales (propriétés de l’État).

Mais en tant que « simple citoyen », je vois deux pistes d’actions :

  • Prendre soin de la forêt : éviter tout risque d’incendie, rester sur les sentiers, ne pas cueillir de façon abusive, ramasser ses déchets… Il s’agit juste d’être responsable. Ce sont des gestes de bon sens !
  • Le seconde, c’est de se renseigner, s’informer, partager ses connaissances, combattre les idées reçues et les fausses informations. Certains messages diffusés sur la forêt sont contradictoires, ou tout simplement erronés. Il est essentiel d’adopter une approche humble et souple, de rester à l’écoute des autres, et notamment des professionnels et des scientifiques.

La forêt joue 4 fonctions : environnementale (biodiversité), sociale (espace de ressourcement et d’activités de pleine nature, valeur paysagère, cueillette, chasse), économique (production de bois) et de protection (protection des sols contre l’érosion, préservation de la qualité de l’air et de l’eau, protection contre les inondations, les glissements de terrain, les chutes de blocs, etc.).

Si elles restent majoritairement des propriétés privées, elles procurent des services qui bénéficient à tout le monde. Il appartient donc à chacun de se mobiliser pour l’étudier, l’accompagner, la préserver et s’en émerveiller.

 

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Lever de soleil au Col Saint-Pierre © Yannick Manche - Parc national des Cévennes

 

Pour aller plus loin :