En accord avec des propriétaires et exploitants, dans le cadre de la politique Natura 2000, deux nouvelles lavognes viennent d’être créées par le Parc national des Cévennes sur le Causse Méjean.
Revenons sur la particularité et les bénéfices de ces éléments emblématiques du paysage caussenard.
Les lavognes, un aménagement traditionnel des causses calcaires
Une lavogne ou lavanha est un aménagement traditionnel créé par l’Homme pour recueillir les eaux de pluie, généralement afin de permettre l’abreuvement des troupeaux.
Sur les causses, en raison du caractère « karstique* » de la roche calcaire, les eaux de pluie sont directement infiltrées à travers le sol puis par l’intermédiaire de réseaux de failles, à l’image d’un gruyère. Elles sont ensuite restituées dans le fond des vallées périphériques (ici, le Tarn, la Jonte et le Tarnon). Cette particularité géologique explique l’absence de cours d’eau et la rareté des points d’eau sur le causse Méjean.
Pour répondre à cette difficulté, depuis des siècles, les éleveurs caussenards entretiennent les rares mares naturelles (sur des couches d’argile ou des cuvettes rocheuses) et confectionnent ces ouvrages afin de collecter les eaux de pluie.
Au fil du temps, les couches d’étanchéité ont varié (argile, béton ou bâches plus récemment) tout comme les structures de surface permettant de résister aux sabots des animaux d’élevage (pierres en calade, dalles plates…).
Mais alors, en 2022, pourquoi restaurer ou créer des lavognes ?
* karstique : ensemble de formes développées dans une région où prédominent des roches sédimentaires sensibles à la dissolution, calcaires en premier lieu. Source : Larousse
Les multiples rôles des lavognes
Abreuvement des troupeaux
Aujourd’hui, environ 20 000 brebis pâturent sur le causse Méjean et le territoire accueille aussi des élevages bovins ou équins. Au fil des siècles, les lavognes furent surtout utilisées pour abreuver les troupeaux ovins transhumant sur de vastes parcours.
Sur le Causse Méjean, beaucoup de lavognes ne sont aujourd’hui plus entretenues et en mauvais état (34% seraient en bon état dans le cœur du PNC selon l’étude menée en 2019 par Clément Fort – stagiaire en licence de SupAgro Montpellier).
L’arrivée de l’adduction en eau potable sur les Causses (années 60-70) et les changements des pratiques d’élevage (passage de l’ovin viande à la production de lait, règles sanitaires…) les ont rendues moins essentielles. Elles pourraient cependant redevenir un outil important dans un contexte de changement climatique. En effet, elles peuvent permettre de faire des économies d’eau (notamment en valorisant les orages estivaux) et d’alimenter les troupeaux éloignés des exploitations.
Biodiversité
La présence de points d’eau sur des terres karstiques crée de véritables « oasis » pour la faune et la flore.
En constituant un réseau, elles permettent à la faune et la flore aquatique de s’exprimer (amphibiens, libellules, characées…) mais elles sont également très utilisées par la faune terrestre (vautours, passereaux, mammifères, reptiles…) pour s’abreuver ou bien s’y baigner.
Les lavognes sont particulièrement attractives pour les vautours qui ont besoin de se baigner après les « curées ». Ils affectionnent ces points d’eau dont l’environnement est souvent dégagé et qui sont situés en hauteur ; cela facilite leur envol. Pour cette raison, la création et l’entretien de lavognes s’inscrit souvent dans le cadre de programme de préservation de ces espèces d’intérêt européen (Natura 2000).
Patrimoine culturel
Héritage de cultures pastorales multiséculaires, ces lavognes sont de véritables témoins de la vie passée sur les causses. Elles sont souvent localisées le long d’anciens parcours et sont les vestiges d’une activité pastorale extensive traditionnelle. Leurs architectures traduisent des savoir-faire ancestraux et elles s’inscrivent dans une série d’aménagements très astucieux imaginés par les caussenards pour économiser l’eau (citernes, sources aménagées…).
Elles forgent l’identité du territoire et font partie du paysage culturel de l’agro-pastoralisme méditerranéen inscrit, depuis 2011, au Patrimoine mondial de l’UNESCO.
Actualité récente : 2 nouvelles lavognes créées sur le Causse Méjean
Dans un contexte de changement climatique et après les sècheresses observées ces derniers étés, les lavognes sont remises au cœur du débat.
Plusieurs acteurs comme le Parc national des Cévennes, la communauté de communes Gorges Causses Cévennes (animatrice de sites Natura 2000) et le Parc naturel régional des Grands-Causses se mobilisent pour préserver ce patrimoine.
En octobre 2022, deux lavognes ont été créés dans le cœur du Parc national des Cévennes, sur des propriétés privées des communes d’Hures-la-Parade et de Cans-et-Cévennes. Elles s’inscrivent dans le cadre des actions menées par le Parc pour protéger et valoriser le site Natura 2000 de la zone de protection spéciale (ZPS) « Les Cévennes » et font l’objet d’une aide au titre des contrats Natura 2000 (financement européen dans le cadre du FEADER).
Une lavogne expérimentale
La lavogne située à Hures-la-Parade, sur les propriétés de l’association TAKH, est d’un type nouveau.
Son développement a fait l’objet d’une étude géotechnique confiée, par l’association, au laboratoire LERM (Laboratoire d'Etudes et de Recherches sur les Matériaux).
Les objectifs sont de supprimer l’usage d’une bâche d’étanchéité, d’augmenter la durée de vie et de diminuer le coût de l’ouvrage.
Cette lavogne ne comporte pas de dalle en calcaire mais est revêtue d’une forme de ciment fabriqué à partir de matériaux locaux (gravillons en calcaire concassé) pour un rendu proche des terrains naturels.
Des petits ourlets (merlons) sont intégrés afin de favoriser le développement de végétaux qui serviront d’habitat à des espèces animales aquatiques (amphibiens, libellules et autres insectes aquatiques).
Une seconde lavogne plus classique à Chabassude (Cans et Cévennes)
La seconde lavogne a été créé sur un modèle plus classique, en dalles calcaires, développé par la Fédération de Chasse de Lozère dans le cadre de la gestion du site Natura 2000 de la ZPS « Causse Méjean ».
La création de nouvelles lavognes sur le causse Méjean permettra non seulement de profiter au pastoralisme, à la faune sauvage et à l’identité culturelle des causses, mais également de réduire la pression sur les points d’eau déjà présents, et ainsi d’éviter les conflits d’usages entre les éleveurs et la faune sauvage, pour laquelle la présence de points d’eau est très appréciée face à la sècheresse.
Les lavognes constituent ainsi un élément typique du paysage caussenard et un véritable petit patrimoine écologique et culturel qu’il est important de préserver.