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Inattendus dans un espace naturel protégé, les vestiges du passé industriel et minier sont pourtant bien présents dans le Parc national des Cévennes. Un héritage parfois lourd à assumer aujourd’hui, mais porteur d’une mémoire et d’un patrimoine au cœur d’enjeux de conservation et de valorisation.

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© Michel Bouthors

Patrimoines industriels, patrimoine minier

Lorsqu’on évoque les Cévennes, ce n’est pas l’image d’un territoire au passé industriel qui vient tout d’abord à l’esprit. Après un temps de réflexion, on cite la houille du bassin d’Alès, dont les vestiges sont encore visibles principalement à La Grand-Combe et dans les communes alentours, au sein même du Parc national des Cévennes. Le travail de la soie constitue l’autre pan de l’histoire industrielle cévenole connue, dont la mémoire et le bâti sont bien présents dans les vallées, valorisés sur leurs sites d’origine ou dans les musées (Magnanerie de La Roque, Musée des vallées cévenoles…).

Mais le passé industriel des Cévennes est encore bien plus riche et diversifié. Ce sont d’abord les moulins, l’une des premières formes d’industrie, les verreries, principalement sur l'Aigoual et dans les vallées cévenoles, mais aussi de nombreuses activités d’extraction et de transformation. Cette industrie rurale, développée parfois dès le Moyen-âge, connait son apogée lors de l’industrialisation de la France à partir du XIXe siècle : métallurgies, verreries, filières textiles, extraction de tanins…De nombreuses communes du Parc national gardent le souvenir de l’une de ces activités, mais bien peu ont pu conserver un patrimoine matériel jusqu’à nos jours.Les vestiges de ces industries, importants mais clairsemés sur le territoire, n’ont pas toujours été reconnus comme un patrimoine digne d’être sauvegardé. La fermeture d’usines a rarement motivé l’envie de conserver les vestiges d’une activité perdue.

Par ailleurs, les constructions parfois monumentales ou jugées peu esthétiques sur le plan architectural, sont difficiles à entretenir et à concilier avec des objectifs d’aménagements plus contemporains. Enfin, certains sites posent avant tout des problèmes de dépollution et de mise en sécurité. Combinant tous ces « défauts », le patrimoine minier paraît pour sa part le plus difficile à valoriser au sein d’un espace naturel protégé !

Une tradition minière ancienne en Cévennes

Des travaux variés sont connus dès l’époque gauloise : fer de Palmesalade (Portes) ou argent à Vialas et à Neyrac (Cubières) où une lampe en poterie sigillée du IIème siècle a été retrouvée dans une galerie creusée à la pointerolle.

Au Moyen-âge, de nombreux filons de galène argentifère autour du mont Lozère font la richesse des évêques de Mende ; ceux du pourtour de l’Aigoual font la puissance des seigneurs de Sauve-Anduze. Plusieurs secteurs miniers sont connus à la fois par des textes anciens (leg, inféodation…) et par l’archéologie (travaux souterrains accessibles). La charte des mines d’Hierle, au sud du Vigan, en 1227, est le plus ancien code minier français tandis que la première mention d’extraction de houille près d’Alès remonte à une enquête lancée par Saint-Louis au sujet de la gestion peu scrupuleuse de son sénéchal de Beaucaire en 1247.

Après un abandon de 1350 à 1600 (Peste noire, Guerre de Cent Ans…), les travaux reprennent lentement sous Henri IV, puis le mouvement s’accélère vers 1750 et surtout après 1830. Près de 2000 puits ou galeries sont creusés avant 1914 mais les petits gisements s’épuisent vite et l’activité se concentre sur les secteurs les plus riches. L’antimoine et surtout le zinc viennent enrichir l’éventail des métaux recherchés. Entrepris sur plusieurs étages afin d’exploiter les filons sur une hauteur maximale, les travaux sont gigantesques : près de 10 km de galeries à Vialas ou au Bleymard, une centaine aux Malines (Montdardier et St Laurent-le-Minier), plusieurs milliers pour le charbon du triangle noir Alès-Bessèges-La Grand-Combe.

Actuellement, seule une faible partie de ces mines demeure accessible quand elles ne sont pas effondrées, noyées ou refermées pour raison de sécurité. Seuls quelques spéléologues et archéologues spécialisés s’intéressent à ces réseaux souvent difficiles et parfois dangereux.

Vialas apparaît comme un site privilégié dont l’abandon relativement précoce a permis la conservation de portions importantes, non seulement de galeries qui ne sont que des tunnels de circulation mais aussi de chantiers hauts parfois de plus de 20 mètres. En plusieurs endroits, ces vastes excavations des années 1850-1880 recoupent des travaux plus anciens dont les entrées demeurent visibles dans les parois, accessibles parfois par une délicate escalade. A cette époque, les filons étaient attaqués sur sept niveaux superposés entre le sommet de la montagne du Bos viel (près de l’antenne) et le bord du Luech. Des spéléologues recherchent actuellement des travaux anciens avec creusement par le feu signalés vers 1790…

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Anciennes exploitations de barytine des Balmelles à Pied-de-Borne. Les colorations sont dues à la présence de cuivre, fer et plomb © François Marchand

A Vialas, la « mine au bois dormant » sort de son sommeil

La mine et l’usine de traitement de la galène - le minerai de plomb argentifère - a fait la richesse du village au XIXe siècle. Enseveli sous les broussailles, l’ancien site industriel est progressivement remis en lumière par quelques habitants, qui ont réussi à rallier des partenaires à leur cause.

 « Il ne reste rien des toits, que les arcs élancés de voûtes admirables, mais les vents, les arbustes et les échos peuplent ces vieux murs de vies bruyantes… » : Jean Pierre Chabrol, dans un chapitre intitulé « La mine au bois dormant » (1) révèle l'ambiance si particulière qui se dégage encore aujourd’hui des vestiges du site industriel du Bocard à Vialas.

Le calme actuel des ruines envahies par la végétation laisse difficilement imaginer le vacarme, la fumée et l’effervescence qu’a connus l'usine au XIXe siècle. De 1781 à 1894, l’exploitation du plomb argentifère a assuré la prospérité de Vialas et a transformé durablement le village. A son apogée sous le règne de Napoléon III, l’usine produisait près de 1600 kg par an, soit ¼ de la production nationale. Vialas employait alors 500 ouvriers, l'équivalant de la population actuelle, tous âges confondus. Malgré cet épisode marquant de l’histoire du village, les souvenirs de la mine sont aujourd’hui bien effacés dans les esprits, alors que la mémoire d’autres périodes historiques plus anciennes, telle que la guerre des camisards est plus vivace. Seul le patrimoine bâti et quelques archives sont encore là pour témoigner des 113 ans d’aventure minière. On pense aux vestiges du site industriel lui-même dans le hameau de La Planche, mais aussi à tout l’héritage architectural de nombreuses maisons du village, notamment dans le quartier des Esparnettes et de l’église.

Construire dans un vallon encaissé : un casse tête industriel

En pénétrant sur le site du Bocard, on est immédiatement saisi par la taille monumentale des bâtiments. Il a fallu ici bâtir tout un site industriel sur des pentes inhospitalières. Plusieurs aménagements remarquables d’ingéniosité ont été entrepris pour répondre à cette contrainte. Une voûte de 100 m de longueur sur le ruisseau de la Picadière a permis de disposer d'une surface plane suffisante pour accueillir de lourds équipements de transformation (bocards, cribles, fours…)  La cheminée rampante est l’autre élément exceptionnel : elle épouse l’angle de la pente sur 500 m étayée par des arches régulières. Elle est suivie d’une partie verticale classique qui, seule, n’aurait pas pu atteindre la hauteur requise pour évacuer les fumées.

 

La galène, minerai de plomb argentifère, ne délivre l'argent brut qu'au prix de plusieurs étapes de transformation depuis l’abattage dans la mine jusqu’à la séparation du métal précieux par coupellation* en passant par le tri et la préparation mécanique... Un processus complexe dont le site actuel garde les vestiges encore bien lisibles, malgré les outrages du temps. Cependant, cette « lecture » du site et la complexité du processus de transformation ne sont pas toujours faciles à transmettre au grand public : c’est là tout l’enjeu du travail engagé par l'association «Le filon des anciens » depuis 2008.

*La fonderie produit du « plomb d’œuvre », c'est-à-dire un mélange de plomb et d’un peu d’argent qu’il faut séparer en oxydant délicatement le plomb pour en extraire le métal précieux.

Un sentier de découverte du site

Depuis plusieurs années, l'association « Le filon des anciens » n'a pas ménagé ses efforts pour faire reconnaître ce patrimoine et proposer sa valorisation. En 2010, un stage confié à Cécile Coustès permet de renforcer les connaissances sur l'histoire du site, tout en proposant un sentier d'interprétation serpentant entre les vestiges (2). Progressivement, le projet retient l'attention de la région Languedoc Roussillon, du conseil général de Lozère, de la Direction régionale des affaires culturelles et du Parc national des Cévennes. La commune de Vialas s'engage alors dans la valorisation du Bocard et devient propriétaire des parcelles de l'ancienne usine en 2013. Depuis l'été 2014, le site est inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques : une étape décisive qui donne un nouvel élan à l'action du « filon des anciens ». Les prochaines étapes sont d’ores et déjà programmées : un relevé complet sur le bâti conservé, puis des opérations d’élagage et de sécurisation du futur parcours.

Un sentier de découverte propose désormais de découvrir l'histoire de ses quartiers, bâtis autour du temple et de la mine de plomb argentifère.

 

Une valorisation du patrimoine déjà très active

Dans l'attente d'une ouverture du site au public sous la forme d'un sentier de découverte, « le filon des anciens » multiplie les animations autour du site. Régulièrement, une exposition et des visites commentées sont proposées ces dernières années. En 2012, le projet d'école de Vialas a même relevé le défi d'intéresser des enfants de 6 à 12 ans aux secrets de ce patrimoine atypique. Lorsque les molécules métalliques deviennent des personnages animés autour d'une mystérieuse princesse de Castagnol (3), et que les machines sont reconstruites sous forme de maquette, le patrimoine industriel devient beaucoup plus intéressant !

Prochainement, l'association Donafilm proposera un film documentaire de 52 minutes sur les mines et l'usine, avec un éclairage inédit sur la profondeur des galeries et une modélisation en 3D de l'usine...

En savoir plus : www.lefilondesanciens.com

CHABROL J.-P., Les Rebelles, La Gueuse, Tome II, Plon, 1966
LALAUZE R., RAGUSI R., Si Vialas nous était conté, ou la princesse de Castagnol, éd. Lacour, 2012.
COUSTES C., Le lien du chercheur cévenol, hors série No 64, 2013.

 

Le soutien du Parc national à la valorisation du patrimoine industriel et minier

  • Co-encadrement du stage de Cécile Coustès, étudiante en master 2 Valorisation et médiation des patrimoines, université Paul Valéry Montpellier III, en 2010 sur la valorisation du site du Bocard à Vialas
  • Soutien financier au projet de sentier d’interprétation du site du Bocard : subvention au Filon des Anciens attribuée en 2012
  • Soutien au projet de film sur la mine de plomb argentifère de Vialas réalisé par l’association Donafilm : subvention attribuée en 2014
  • Mesure 2.3.3 de la charte du Parc visant à réinvestir le patrimoine industriel et intégration du patrimoine industriel dans le cadre de la stratégie scientifique de l’établissement
  • Subventions à la restauration ou la valorisation de moulins dont, récemment, le moulin du Mazel (Le Bleymard) et le moulin Bonijol (Vialas)

Source : Magazine De serres en valats N° 38 - Octobre 2014


Source URL: https://www2.cevennes-parcnational.fr/dossiers/le-patrimoine-industriel-et-minier-du-parc-national